UN FRELON DANS MON YAOURT!
« Un Frelon dans mon Yaourt ! »
Petite pochade en 1 acte pour 3 personnages
Par Sylvain Perge
Personnages :
Le présentateur
Le reporter Sylvestre Ratineau
La tragédienne Emilienne de La Chaumeray
L'action
se déroule comme une émission de télévision avec le présentateur
qui annoncera les sujets, assurera les transitions et le lieu ou se
trouvent le reporter et l'invitée de l'émission.
Le plateau sera divisé en deux parties, sans accessoires, les comédiens joueront debout.
Il
s'agit d'un reportage sur une comédienne ayant au faite de sa gloire
décidé par amour de se retirer dans un petit village Corrèzien.
Musique
Générique des Dossiers de l'écran
Le
présentateur :
(debout
comme s'il était face à une caméra)
Bonsoir,
et bienvenue sur Canal 134 pour le 12éme numéro de votre émission
« De l'Art dans les Mots », aujourd'hui consacrée à une
grande dame de la scène, j'ai nommée Emilienne de La Chaumeray.(un
silence). D'Emilienne de La
Chaumeray, de son vrai nom Simone Tarpion, nous ne savons que très
peu de choses.Elle entretient avec férocité le mystère autour de
ses origines. Est-elle comme certains le prétendent la fille cachée
d'un président de la république qui aimait , selon la légende,
rendre des visites nocturnes à ses maîtresses, portant des
culottes, des bottes de motos, un blouson de cuir noir avec un aigle
sur le dos chevauchant une superbe Motobécane d'une cylindrée de
350 cm3, bi cylindres ? Ou celle d'un modeste forgeron des Côtes
d'Armor, anciennement Côtes du Nord, venu à la capitale pour le
17éme congrès de l’association des « Joyeux Fers à
Cheval » ? Nous ne savons qu'une chose, que sa mère, sous
le surnom de « Petite verrue », parce-qu’elle avait sur
la fesse droite un bouton de naissance, était ouvreuse aux « Folies
Bagatelles » cabaret interlope du 18éme arrondissement. Ce qui
sans doute suscita en elle l'envie de faire carrière dans le milieu
du spectacle vivant. Mais soyons nets, courts et concis :
Il
y a quelques jours, notre reporter Sylvestre Ratineau l'a rencontrée
et avec l’opiniâtreté qui lui est coutumière, a réussi à
fendre, disons plutôt à modestement ébrécher le mystère
entourant cette grande dame.Mise en confiance elle s'est peu à peu
ouverte à la confidence et a même offert à Sylvestre la primeur de
l'un de ses nouveaux textes.
En
effet, cette grande artiste, malgré son âge avancé, ne ménage pas
sa peine. Elle bouillonne de projets. Les répétitions de son
nouveau spectacle, un récital de poésies ont débuté au mois de
janvier dernier . Dans ce nouveau projet elle a décidé de
s'attaquer au théâtre social et de rendre hommage à un auteur
méconnu Jean Racine. Dans un ensemble de textes elle dénonce
l'absurdité matérialiste et intrinsèque de la société.
Mais
tout d'abord retrouvons là avec Sylvestre Ratineau pour une
discussion à bâtons rompus.
Sylvestre
Ratineau :
(face
au public comme s'il était face caméra):
Chers
amis bonjour ! Une fois n'est pas coutume ce n'est pas de nos
studios que je vous propose ma rubrique « Rencontre avec des
gens extraordinaires » mais du fond de la province dans un
charmant petit village de Corrèze fleurant bon la bouse de vache, le
lisier, et répondant au doux nom de St Ambroise les Mirabelles.
Depuis quelques années la vie de cette charmante et paisible petite
bourgade de 350 âmes a été disons le mot « chamboulée »
par l'arrivée en ses murs d'une artiste, d'une comédienne, qui,
après avoir connu le succès à la capitale, côtoyé les plus
grands, a décidé de se mettre au vert ! Mais sans pour autant
abandonner ce métier, ce sacerdoce qui lui a apporté tant de joies,
de peines aussi, elle a monté un petit atelier théâtre,afin de
partager son savoir, sa passion pour les planches avec les
autochtones. Je vous propose donc une rencontre avec ce personnage
hors du commun.
(Il
se tourne vers Émilienne qui se tient à ses côtés
minaudant)
Émilienne
de La Chaumeray bonjour et merci de nous accueillir alors que le
temps vous est compté, que les minutes vous sont précieuses à
quelques heures de la générale.
Émilienne :
Bonjour ! Tout le plaisir est pour moi.
Ratineau :Mais
non pour nous !
Émilienne :
Mais non pour moi !
Ratineau :
Enfin nous sommes contents d'être avec vous ! Avant d'évoquer
vos projets actuels, pouvez vous nous dire ce qui vous a attiré ici,
à St Ambroise les Prunes.
Émilienne :
Les Mirabelles.
Ratineau :
Quoi les mirabelles ? Les fruits ?
Émilienne :
Non, ici c'est St Ambroise les Mirabelles .
Ratineau :
Bon d'accord ! Allez on enchaîne on coupera au montage.
Émilienne :
Ah non il n'en n'est pas question ! As de censure, faut assumer
mon petit gars. Et puis on ne retravaille pas les propos d’Émilienne
de la Chaumeray ! Je sais comment vous fonctionnez vous les
journalistes, on vous parle, on vous fait confiance, on se dévoile,
on se met à nu et hop vous ne gardez de nos propos que ce qui vous
intéresse et de préférence le malsain !
Ratineau :
Bon là je crois que l'on s'égare ! Donc qu'est ce qui vous a
attiré à St Ambroise les Mirabelles ?
Émilienne :
Vous savez après une carrière comme la mienne, il était temps pour
moi de me renouveler, de prendre un nouveau départ.
Ratineau :
En somme vous avez quitté le pays du vaudeville pour celui du eau
sous la mère...
Émilienne :
Oui, il me fallait donner une nouvelle orientation à mon art.
Ratineau :
Pourtant il semblerait qu'à la lecture d'articles parus dans la
presse spécialisée à l'époque, que votre étoile commençait
sérieusement à ternir . Votre dernier passage sur scène, dans
une adaptation du Médée d'Euripide, signée Samuel Béquette « Un
Frelon dans mon yaourt ! » n'a pas provoqué l'hystérie
dans le public. Trente représentations au petit théâtre de poche
St Ursule, avec une moyenne de 8 spectateurs, comment appelez-vous
ça ?
Émilienne :
Monsieur apprenez que dans ce milieu il ne faut jamais se fier aux
chiffres, et surtout aux critiques ! Peu de spectateurs, certes,
mais des personnes de bon goût !
Ratineau :
Oui mais les chiffres remplissent les caisses, tandis que le talent
seul, parfois... Parlons plutôt de votre décision de quitter les
lumières de la capitale pour les lampions de St Ambroise, il me
semble avoir ouïs dire qu'un certain Alphonse n'était pas étranger
à cette décision.
Émilienne :
On ne peut rien vous cacher. Oui ALPHONSE ! Ah ce cher
ALPHONSE ! Il faut que je vous narre ces cocasses circonstances
qui...
Ratineau :
Cessez donc ces assommantes assonances et narrez nous !
Émilienne :
Donc, après une journée de répétitions de la pièce « Les
castagnettes en folies » montée par mon fidèle ami Grégoire
de Montalenvers, j'avais décidé de, comment dire, me mettre au vert
(huhuhu) pour quelques heures. Et comme à deux pas de mon domicile
se tenait le salon de l'agriculture... J'arpentais les allées du
salon, le cœur ouvert à l'inconnu (hihihi) lorsque je le vis. Il se
tenait droit, impérial, majestueux devant l'enclos de « Papagayo »
son goret ! Pensez un animal frisant le quintal ! Nos
regard se croisèrent et à cet instant là... mais je ne peux vous
en dire plus, de peur d'être inconvenante ! Ni une ni deux, à
l'issue des représentations des « castagnettes » je fis
mon maigre bagage et débarquais chez Alphonse.
Ratineau :
Je crois que ce ne fut pas long car la pièce ne tint pas l'affiche
dix jours, si on s'en réfère à la presse... Et il me semble
également que vous avez dû verser un dédit assez important à
votre producteur pour n'avoir pas tenu vos engagements sur un
projet...
Émilienne:Fi
donc des chiffres ! Cet instant là seul l'AMOUR comptait pour
moi. Vous faites sans doute référence à ce projet « de le
blédine dans le couscous »de Shazaman Al-Rachid, mais mon
cher ami revoyez donc vos sources, cette pochade a été abandonnée
de peur de heurter quelques sensibilités confessionnelles que je ne
citerais point ici. Pour revenir au but de ma venue à St Ambroise,
Alphonse est un être merveilleux, il a su révéler en moi la jeune
fille innocente qui sommeillait, avec lui je suis devenu une femme.
Et pensez au plaisir qu'il y a à arpenter la porcherie à son bras
au petit matin, toutes ces odeurs boisées, naturelles, vivantes...
Et le soir, hein le soir, lorsqu'il rentre à la maison et que je
l'attends près du Cantou où, dans la marmite, mijote une bonne
grosse soupe comme il les aime, mon Alphonsounet, ha ouiiiii ;,
j'aime son odeur fauve, virile, sa transpiration, ses bras, son
torse, ses... son... (elle devient hystérique)
Ratineau :
Bon et bien je crois que nous allons en rester là pour le moment. On
se retrouve pour la suite...
Émilienne :
( elle s'accroche à son bras et d'une voix rauque, style
feulement...) OUIIIIII....
(Retour
côté présentateur)
Le
présentateur : Étonnant non ? Nous allons
maintenant poursuivre avec un extrait de la répétition qui a
suivie, toujours réalisée par notre intrépide reporter, dans les
locaux du foyer des anciens de St Ambroise les Mirabelles, foyer
portant le nom nostalgique d'Espace Jean XXIII. Ha
on vous parle d'un temps que les moins de
… Mais revenons à
nos moutons si on peut dire...
Emilienne :
Jean Racine dit « Petit Louis » poète et auteur
dramatique (1926/1992). Tout d'abord apprenti il poursuivit une
carrière de mécanicien, en tant qu'ouvrier spécialisé en
remodelage de joints de culasse au garage Merkel, tout en s'adonnant
à sa passion pour l'écriture. On lui doit notamment « Embrayage
et petites fumées », « vas y freine ça frotte »,
« Des boulons dans le carbu » et surtout l'ébauche du
« Grand embouteillage » dont l'idée fut honteusement
reprise par un obscur cinéaste italien dont nous ne citerons point
le nom (ha le fourbe!). « le joint perfide » reste une
référence en la matière par son écriture prenant pied dans les
coulisses du réel.Certainement l’œuvre maîtresse de cet auteur
malheureusement occulté par l'ombre d'un homonyme. Tous ses écrits
furent portés sur scène par « La troupe des Joyeuses clés de
Douze » de Bougival. Il est également l'auteur d'une
cinquantaine de poèmes qui furent édités à compte d'auteur par sa
veuve sous le titre de « Ton visage dans le cambouis ».
C'est de ces écrits méconnus que s'inspire le spectacle que je vous
propose ce soir. Que justice lui soit enfin rendue. Merci.
« Le
joint Perfide » de Jean Racine.
Elle
s'appelait Mercédes et avait de la classe,
C'est
pour ça qu'entre elle et moi il y eut un flash,
mais
cette traîtresse, cette dégueulasse
Cachait
le mal sous son air bonasse.
Deux
cent mille au compteur, ce n'est rien pour un diesel
Ce
véhicule est pour nous vraiment providentiel,
Nous
pourrons Francette et moi foncer vers Marseille
Et
passer le mois d'août à nous dorer au soleil.
Mais
hélas alors que nous foncions vers Tarascon
Un
sinistre bruit se fit entendre, claquement de piston
Et
ce fut à l'allure d'un limaçon
Que
nous atteignîmes honteux le garage Purgon
Ce
garagiste avisé n'eut point besoin d'une heure
Pour
diagnostiquer la cause de not'malheur
Retroussant
ses manches il joua le bon docteur
Ne
ménageant ni sa peine, ni sa sueur...
Le
soir venu nous reprîmes la route
Le
compte en banque en légère déroute
Mais
le cœur lèger, toute peine absoute
car
quand on aime on ne regarde pas à c'que ça coûte !
Un
joint de culasse,
C'est
bien plus cher qu'des essuies glace,
On
en trouve même à Pézenas ,
Dans
tous les cas ça se remplace
Un
joint de culasse !
(Retour
côté présentateur)
Le
présentateur : Pour conclure cette émission nous vous
proposons maintenant un document très rare. En effet,
grâce
à la veuve du grand Samuel Béquette, qui nous a hélas quitté
dernièrement,victime d'une malencontreuse chute dans les escaliers
glissants des toilettes des « Folies Bagatelle », nous
avons pu nous procurer une captation vidéo de l'une des dernières
prestations parisiennes d’Émilienne de la Chaumeray. Sur la scène
du petit théâtre de poche St Ursule devant un public de
connaisseurs, elle avait accepté, pour animer le congrès annuel de
l'association des podologues Auvergnats, qui comme on le sait vouent
une véritable admiration pour le pied grec, de reprendre le rôle de
Médée. Son interprétation, si proche de la Duse, de Sarah Bernard,
de la grande Eugénie de la côte flottante, de Zaza napoli et de
tayta Yoyo ne vous laissera pas indifférent .
L'action
se situe à Corinthe, peu après les vendanges.
Médée :
Vêtue d'une grande robe style toge sur laquelle est passée un
tablier de boucher taché de sang, apparaît du fond de la scène. Au
bout de son bras un couteau.
Elle
s'avance vers l'avant scène où sur un guéridon sont disposés un
yaourt de brebis au miel et une petite cuillère.
Elle
progresse la tête haute, conquérante, altière.
A
mi chemin elle laisse tomber le couteau.
Arrivée
devant le guéridon elle se saisit en un grand mouvement de bras
(gauche) du pot de yaourt, elle l'observe avec gourmandise, avec la
main gauche elle se saisit de la petite cuillère.
Impériale,
elle plonge la petite cuillère dans le pot, la porte à sa bouche.
Elle
s’interrompt alors que celle-ci est à quelques millimètres de sa
bouche, elle louche sur la cuillère, tétanisée...
Elle
laisse tomber l'ensemble sur le sol avec un grand cri :
RHÂÂÂÂ !
(deux secondes) il y a un frelon dans mon yaourt !
Un
temps puis noir
Générique
Dossiers de l'écran
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